C’était il y a quelques années. Le dragon chinois allait rendre visite à son cousin le Drac. Mais quand il arriva, il ne trouva qu’un gros serpent entravé au fond du fleuve. Il essaya de le libérer, il essaya de toutes ses forces. Mais il parvint à peine à agiter l’eau (un village fut quand même noyé). Alors pour mieux chercher une solution, il se dispersa en millions de papillons qui partirent à travers les campagnes environnantes jusqu’aux confins du monde.
Tu imagines bien quel danger pour la ville si le dragon se libère. Et pire ; Imagine que tous les dragons entravés de par le monde se libèrent : le monde entier est en danger. Et puis, tu ne sais peut-être pas pour le grand serpent ! A l’époque où la Terre et les hommes s’entendaient encore, un énorme serpent cherchait à détruire les hommes, pour des raisons mal connues. La Terre accepta alors de se blesser pour l’enfouir sous son écorce. Il paraît d’ailleurs que la Terre hésite de temps en temps à le relacher, mais elle n’a qu’une parole.
Alors tu comprends pourquoi le secret qui maintient les dragons prisonniers doit être préservé de la curiosité des papillons.
Heureusement, des sorciers ont trouvé une parade efficace. Ils distraient les papillons pour éviter qu’ils trouvent une solution. Comment ? Ils font pousser des légumes. Ils ont décidé de se faire appeler « les maraichers ». En effet, les gens croient que les légumes ne servent à rien, mais ils attirent les papillons et les poussent à pondre sur place. Les papillons dépensent ainsi beaucoup d’énergie. Certains sorciers en profitent même pour les détruire. Moi, je trouve cela un peu barbare. Après tout, les papillons ont le droit de chercher à améliorer le sort des dragons.
La plupart des maraichers nient qu’ils sont en réalité des sorciers. Plusieurs craintes les poussent au secret : d’une part, il y a des gens qui brulent le sorciers, ou il y en a eu, ce qui revient un peu au même. les sorciers ont aussi peur qu’on se moque d’eux, ils le vivent très mal. D’autre part, ils craignent que les papillons éventent le stratagème. Là, je dois dire qu’ils s’inquiètent pour rien. Les papillons n’ont encore rien compris alors que les ficelles sont un peu grosses. Imaginez ! Il faut se comporter comme si les gens achetaient et mangeaient des choux pour leur plaisir. Les choux sont en effet les meilleurs capteurs de papillons. Tu vois bien que ce n’est pas crédible un seul instant si on veut bien y réfléchir : alors la capacité de compréhension des papillons, ce que j’en dis…
Pourquoi prendre le risque de tout révéler ici ? D’abord, je ne vois pas de papillons dans les environs et je suis sur qu’ils ne savent pas lire. Surtout, je voudrais quand même que tu saches de quoi il retourne pour aider un peu. Comme je l’ai peut-être déjà dit, la difficulté des maraichers est de camoufler leur vrai rôle. De là à faire croire que les choux servent à nourrir les hommes, il faut développer des efforts singuliers. Personne n’aime le chou. Certains font semblant. Ces derniers sont en réalité initiés au secret et tentent de le préserver en dépit de tous les risques sociaux inhérents au fait de vouloir faire manger des choux à des personnes qui ne vous on rien fait. Je compte donc sur toi pour vanter les mérites gustatifs du chou, quoi qu’il en coûte à ton amour de la vérité.
Tu ne me crois pas ? Attention, tu détruis toute l’histoire. Déjà le dragon chinois devient un simple nuage dont la forme m’a amusé, le long d’une pente alors que j’empruntais la route du Monteynard, entre la Matheysine et le Drac et ses barrages.
Tu y crois de moins en moins ? C’est très grave, fais attention bon sang ! au début de l’histoire je l’imaginais s’évaporer après avoir vu le Drac. Mais ce n’est pas très démonstratif, je trouvais les papillons plus joli. Toi non ?
Tu ne crois donc pas un traître mot de cette histoire ? Ca se voit, c’est même méchant. Et si je te montre qu’un bout de l’histoire est incontestable, tu consentiras à la réexaminer avec clémence ?
Oui ?
Alors voilà : les maraichers font pousser des légumes et les chenilles mangent les choux.
C’est pas une preuve ça ?